Mercosur : les éleveurs français crient à la "trahison" de Macron
Les éleveurs français, en particulier de bovins et de volaille, redoutent qu'un accord ne soit finalement signé par la Commission européenne avec les pays sud-américains du Mercosur. Dans un tel cas, le marché européen et les filières françaises seraient déstabilisés par des importations low-cost de viande bovine et de volaille. Emmanuel Macron avait pourtant promis que certaines lignes rouges ne devaient pas être franchies.
Les négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur devraient s’accélérer dans les jours à venir. En effet, aujourd'hui 30 janvier, des représentants des états du Mercosur que sont le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, doivent rencontrer les commissaires européens à l’Agriculture et au Commerce que sont Phil Hogan et Cecilia Malmström.
« Nous devons fixer une date à laquelle nous recevrons la proposition de l’UE concernant certaines questions en suspens, notamment celles relatives à l’ensemble du volet agricole » a relevé le chef de la diplomatie paraguayenne, Eladio Loizaga, le 22 janvier. Une réunion devrait se tenir par la suite au Paraguay les 18 et 19 février.
Une filière bovine déjà fragilisée
La filière bovine française est vent debout contre cet accord qui devrait voit un contingent de 70 000 tonnes accordé aux pays du Mercosur en viande réfrigérée (morceaux sous vide et conservés à basse température) et congelé.Un contingent qui peut encore évoluer à la hausse (100 000 tonnes). Ceci quelques mois après la signature d'un accord avec le Canada, lui aussi considéré comme menaçant pour la filière bovine européenne.
« Les exportations des pays du Mercosur seront les mêmes que celles du Canada, soit des morceaux destinés à des marchés haut de gamme (entrecôte, aloyau, filet, etc), mais à des prix bien inférieurs », observe Baptiste Buczinski, chef de projet à l’Institut de l’élevage (Idele).
Sur ce marché de niche, à haute valeur ajoutée, les importations de viande du Mercosur n’aideront pas une filière allaitante française déjà économiquement affaiblie et subissant des contraintes de production plus fortes qu'en Amérique latin.
De plus, la filière a connu une baisse de prix « inexplicable » sur la seconde partie de l’année 2017, selon Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine (FNB). Une vache de bonne conformation atteignait ainsi des prix de l’ordre de 3,50 €/kg, soit 1 €/kg en dessous de son coût de production, selon lui.
Les filières d’élevage se sentent trahies par Macron
Difficile alors de ne pas réagir aux vœux d’Emmanuel Macron, le 25 janvier, qui affirme que « cet accord peut être bon si nos lignes rouges sont tenues ». Le gouvernement n’affiche pas une volonté d’exclure le secteur de la viande bovine de l’accord, contrairement à la demande des syndicats agricoles.
Emmanuel Macron se positionne plutôt sur un entre-deux, difficilement acceptable pour la profession. « L’ouverture au monde n’est pas un danger », déclarait-il en reconnaissant cependant que laisser rentrer des produits agricoles issus « d’un autre modèle social » ou « environnemental », opposé à « ce que nous imposons à nos propres acteurs », serait contraire à la « préservation » des intérêts du pays. Les élevages de bovins, porcs et volailles sud-américains sont essentiellement nourris à base d'OGM, en particulier de soja transgéniques, cultivés sur place avec une utilisation massive de glyphosate.
La Confédération paysanne refuse l’accord et s’interroge sur les fameuses « lignes rouges » dont parle Emmanuel Macron. La Coordination rurale parle de « trahison ». Interbev, l’interprofession de la filière bovine « s’indigne ». elle s’interroge : "en quoi l’accord entre l’UE et le Mercosur est-il moins dangereux en ce début 2018 qu’il ne l’était à la fin de l’année 2017 (NDLR : quand le président Macron le jugeait inacceptable) ? Le Brésil n’est-il toujours pas, suite à l’affaire « Carne Fraca », dans l’incapacité de démontrer la fiabilité du système de traçabilité et de certification sanitaire de ses viandes ? L’élevage sud-américain n’est-il toujours pas responsable de la déforestation, donc totalement incompatible avec l’agriculture engagée dans la lutte contre le changement climatique prônée par Emmanuel Macron ?"
Rappelons que les deux géants de la viande au Brésil (plus gros exportateur mondial), JBS et BRF, sont poursuivis depuis début 2017 pour être soupçonnés d'avoir organisé une commercialisation massive de viandes avariées grâce à la corruption généralisée des services vétérinaires.
La Fédération nationale bovine (association spécialisée de la FNSEA) évoque pour sa part « la stupeur » et « la colère » des éleveurs face à au discours du président de la République.
En écho à la filière bovine, la CFA, la section volaille de la FNSEA, s'est inquiétée, dans un communiqué le 29 janvier, des propos tenus par Emmanuel Macron sur l'accord UE-Mercosur lors de ses vœux à l'agriculture. Le discours «semblait préparer les agriculteurs à la signature imminente d'un accord», craignent les éleveurs qui redoutent l’octroi de nouveaux contingents d'importations à droits nuls pour la volaille de chair, 90 000 tonnes supplémentaires selon leurs informations. Une telle offre engendrerait «une perte de débouchés pour 150 millions de poulets de chair élevés en UE», estime la CFA. Une nouvelle qui ne facilitera pas la tâche du groupe coopératif Terrena dans le redressement de sa filiale bretonne Doux, spécialisée dans la viande de poulet, et dont les succès à l'export ont déjà été mis à mal par le poulet bas de gamme d'origine brésilienne.
« Macron s'est couché devant l'Allemagne »
Alors que les commissaires européens à l'Agriculture Phil Hogan et au Commerce Cecilia Malmström reçoivent ce mardi à Bruxelles les négociateurs des quatre pays du Mercosur pour continuer les négociations en vue d'arriver à un accord, l’eurodéputé Eric Andrieu s’inquiète de la position des autorités françaises, qui, selon lui, s’apprêtent à céder aux sirènes du libre-échangisme. Pour le député européen PS, « Emmanuel Macron, dans son allocution commune avec le Président argentin M. Macri, a été très clair : cet accord est ‘pertinent et doit être soutenu ».
Pour Eric Andrieu, « Emmanuel Macron s’est d’ores et déjà couché devant l’Allemagne qui veut utiliser l’agriculture européenne comme monnaie d’échange pour un accès accru de ses produits industriels sur le continent sud-américain ».